Interview de Sushi Shop : mettre la donnée au service de la production et de son optimisation
Chez CustUp, nous répétons souvent que les données sont au service de l’amélioration de la Relation Clients. Mais les cas d’usage des données dépassent le cadre du CRM. Le témoignage de Sébastien Roudié nous en offre une belle illustration.
Sébastien Roudié est ancien Directeur des Systèmes d’Information du leader français et européen de la livraison de sushis. Dans l’interview qu’il nous a accordée, Sébastien nous explique comment les données de Sushi Shop ont été mises au service de la production et de son optimisation, dans un contexte de pression forte du marché marquée par l’arrivée des plateformes de livraison.
Cet article retranscrit l’interview de Sébastien Roudié.
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Le déclencheur du projet data de Sushi Shop : l’arrivée des plateformes de livraison
Sushi Shop, une enseigne de livraison de sushis bouleversée par l’arrivée des plateformes
– J’exerçais les fonctions de DSI chez Sushi Shop lorsque les nouveaux acteurs de la livraison comme Deliveroo sont venus transformer notre métier. Il y a eu un avant et un après.
Avant 2013, Sushi Shop utilisait les canaux historiques pour générer des commandes, le téléphone, les passages en points de vente mais aussi le site web qui jouait déjà un rôle important. A cette époque, le client était prêt à attendre 30 – 45 minutes pour se faire livrer ses sushis. Le délai d’attente était accepté.
Les plateformes sont ensuite arrivées en promettant la livraison en 20 minutes. Ce n’était pas la promesse de Sushi Shop…Ces plateformes ont par ailleurs démocratisé la livraison, en permettant à tous les restaurants de livrer.
Nous avons été confrontés à deux défis : l’augmentation brutale de la concurrence et la pression sur les délais de livraison.
J’ajouterais que Sushi Shop est une enseigne de livraison de sushis, la livraison était et reste au cœur de notre modèle. Par conséquent, nous avons été plus impactés que les restaurateurs pour lesquels la livraison à domicile est un bonus, un supplément de chiffre d’affaires. C’est le modèle de Sushi Shop qui s’est retrouvé concurrencé directement.
Nous avons dû nous adapter, nous transformer. Comment ? En misant sur la data.
Deliveroo, concurrent ET partenaire
– Sushi Shop est devenu partenaire de Deliveroo. Nos enseignes se sont inscrites sur la plateforme, qui est devenue un nouveau canal de vente, un apporteur d’affaires. Nous avons commencé par comprendre comment fonctionnait cette plateforme, pour en tirer le meilleur parti. Le constat que nous avons rapidement fait c’est que, pour être référencé sur la première page de résultats, il faut être celui qui livre le plus rapidement. C’est devenu notre objectif.
Pour répondre à cet objectif, nous avons dû :
- Mieux connaître notre clientèle : les moments de commande, les horaires, les éléments déclencheurs de commandes.
- Anticiper les pics de commande.
Nous nous sommes appuyés sur les données : les données clients et les données transactionnelles.
Nous avons amélioré notre propre site internet pour inciter le plus de clients à passer par Sushi Shop directement plutôt que par Deliveroo.
Nous avons choisi d’être présents sur Deliveroo, mais sans pour autant devenir dépendants de cette plateforme.
La transformation de l'outil et du mode de production Sushi Shop
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En recevant le Livre Blanc, je confirme accepter le traitement de mes données personnelles par les coauteurs CustUp et Meteor, pour permettre la réception de celui-ci et de communications complémentaires en lien avec celui-ci. Mes données seront traitées conformément à la Déclaration de confidentialité.
– Nous avons transformé notre outil de production, en préparant à l’avance les plats les plus commandés à la carte et sur les plateformes. Nous avons fait le choix de ne pas proposer sur Deliveroo les plats les plus complexes à préparer, pour ne pas pénaliser le délai de livraison. Nous avons également réorganisé les cuisines, en faisant venir le personnel plus tôt. Nous avons aussi réorganisé les approvisionnements. C’est toute notre chaîne de production que nous avons été amenés à remanier.
Nous avons aussi challengé le mode de production. Nous avons étudié deux options :
- Option 1 : chaque salarié a un poste attitré : l’un se consacre à la préparation des sushis, l’autre à la préparation des rouleaux (makis), une autre personne s’occupe de rassembler tous les produits pour préparer les commandes.
- Option 2 : chaque salarié est polyvalent et responsable de sa commande, de la production des produits à l’assemblage des commandes.
Nous avons finalement opté pour l’option 2, car l’option 1 créait des goulots d’étranglement, tout le monde ne travaillant pas à la même vitesse.
Améliorer la circulation des données dans l’écosystème Sushi Shop
– Pour pouvoir être pleinement exploitable, la donnée doit circuler de manière optimale dans le système d’information, entre les outils : CRM, système de caisse, site web…
A cette période, au milieu des années 2010, nous avions entrepris un projet CRM. Nous avons fini par choisir Neolane, qui a été depuis racheté par Adobe. Nous voulions une solution pour faire de l’animation commerciale classique et fidéliser notre clientèle régulière avec des récompenses. Nous avons décidé de communiquer davantage avec nos clients et de leur offrir des informations sur le temps de livraison, les statuts de sa commande (en préparation, en cours de livraison), les statuts clients.
Nous avons également changé l’outil de caisse, qui est primordiale pour notre activité : notre système de caisse sert au suivi de la production. Nous l’avons configuré pour qu’il capture les temps de commande et envoie des informations au système central, qui est une base de données SQL hébergée en interne. A partir des informations fournies par le système de caisse, la base pouvait calculer en temps réel le pipe en restaurant et prédire, par exemple, que telle commande de 50€ serait prête dans X minutes.
L'art de mettre la donnée au service de l'optimisation de la production
Un challenge relevé : devenir data-driven
– Nous avons tout mis en œuvre pour devenir réellement data-driven. Nous voulions que la donnée serve à anticiper la préparation des commandes, à réduire le temps d’attente, à mieux gérer le planning des salariés.
Pour anticiper la préparation des commandes et réduire le délai d’attente, nous avons identifié et pris en compte les déclencheurs de commandes. L’activité de SushiShop est très dépendante de facteurs exogènes :
- La météo. Lorsqu’il pleut, les gens commandent plus.
- Les événements, sportifs notamment (matchs de foot…), qui génèrent des pics de commandes.
En somme : comprendre pour mieux prévoir, mieux prévoir pour mieux produire.
Les éléments ci-dessus impactent la demande. Mais il y a aussi des éléments qui impactent la capacité de production des restaurants. Par exemple : l’absence d’un cuisinier. Nous avons décidé de prendre en compte ces informations pour être en mesure de calculer les volumes de commandes que sont capables de traiter chaque restaurant à l’instant t.
Dans l’optique de calculer au mieux le délai de livraison, nous avons intégré dans notre modèle la distance entre l’adresse du restaurant et celle du client. Ces informations, d’ailleurs, sont accessibles par le personnel des restaurants pour qu’ils soient capables d’informer les clients qui appellent pour connaître le statut de leur commande, le délai de livraison.
Tout cela, cela va sans dire, a nécessité un gros travail sur la donnée, leur organisation, leur circulation dans notre système d’information.
Pour mener à bien ce projet data, Sushi Shop s’est fait accompagner par un cabinet de conseil
– Pour analyser notre vaste historique de données, analyser les commandes, comprendre l’impact des différentes variables exogènes (météo, événements…) sur les commandes, comprendre les typologies de restaurants, construire à partir de là un modèle prédictif, nous avons choisi de nous faire accompagner par un cabinet de conseil : EY.
Nous avions une dizaine d’années d’historique, tous les tickets de caisse ayant été conservés, cela nous a permis de comprendre l’activité des différents points de vente. Nous avions la chance d’avoir de grands volumes de données pour construire le modèle prédictif.
Un portail pour mieux suivre la production
– Nous avons par ailleurs créé un portail accessible pour les restaurants sur lesquels tous les gérants pouvaient renseigner un chiffre d’affaires prédictif. Ce CA prévisionnel pouvait être ajusté en fonction des événements imprévus, par exemple la fermeture d’un centre-ville à cause du Tour de France ou la présence de travaux dans la rue.
Sur la base des prévisions proposées par le Central, les gérants pouvaient éditer une feuille de production afin de les aider à mieux anticiper et organiser la production.
L’architecture IT n’a pas été bouleversée
– Nous avons bien entendu connecté les différentes plateformes comme Deliveroo au système d’information Sushi Shop pour éviter d’avoir à ressaisir les commandes des plateformes dans notre SI. En revanche, le SI est resté inchangé : nous avons décidé de conserver notre base de données centrale SQL. Chaque restaurant est autonome et dispose de son propre serveur. Les commandes des points de vente remontent au fur et à mesure dans la base de données.
Nous n’avons pas fait évoluer les outils CRM et Marketing.
En définitive, c’est la circulation des données dans le SI qui a été complètement repensée, plutôt que les briques constituant le système.
Les clés de succès pour réussir un projet data au service du pilotage de l’entreprise
– Nous n’avions pas le droit à l’échec. La pression du marché était forte. Tout le monde était sponsors du projet et conscients des enjeux, du chemin qu’il fallait prendre. La moitié des franchisés a été embarquée dans le projet. La direction générale, le marketing, les opérations : tout le monde s’est impliqué. Dans le cas de Sushi Shop, l’un des facteurs de réussite du projet a été cette “pression vertueuse”, qui a été bien comprise par tous les collaborateurs.
Nous avons déployé le projet progressivement. C’est la deuxième clé de succès. Nous avons travaillé avec des restaurants pilotes pour faire la preuve de la démarche (PoC). Le succès de ces expérimentations nous a conduits à généraliser.
Nous avons commencé par déployer Deliveroo sur 2 restaurants parisiens. Dès la première semaine, ces restaurants pilotes ont enregistré +30% de chiffre d’affaires. Il n’y avait pas de débat possible, c’était le bon chemin. Les premiers pilotes et les premiers résultats ont donné l’élan pour continuer à avancer.
Nous avons aussi réalisé un certain nombre d’A/B Tests sur différents sujets, y compris concernant la production. Cette démarche de tests nous a été très utile.
Troisième clé de succès : disposer d’une équipe data interne. Si nous avions eu les compétences en interne, nous aurions sans doute pu avancer plus vite sur certains sujets, notamment les A/B Tests. C’est un vrai plus d’avoir des professionnels de la data dans son organisation.
Sébastien Roudié, ancien directeur des systèmes d'information chez Sushi Shop
Sébastien Roudié a été Directeur des Systèmes d’Information chez Sushi Shop entre 2013 et 2018. Sébastien a ensuite exercé les fonctions de DSI au sein de :
- Maison Kitsuné, un label musical qui vend par ailleurs des produits de mode premium, des cafés et des restaurants.
- Azzedine Alaïa, une marque de prêt-à-porter féminin de luxe.
Depuis mai 2022, Sébastien Roudié occupe le poste de Chief Information Officer au sein de la maison Lanvin.
Sushi Shop en quelques mots
Sushi Shop est une chaîne française de restauration rapide japonaise créée en 1998. Avec plus de 160 restaurants dans 12 pays et un chiffre d’affaires de 102 millions d’euros en 2020, Sushi Shop s’impose comme le leader européen sur son créneau.
La chaîne a été rachetée en juillet 2018 par l’opérateur européen de restaurants AmRest pour un montant de 240 millions d’euros.