La collecte et l’exploitation de la donnée clients dans l’univers du Retail
Le 6 février dernier, le Journal du Net organisait l’événement « Digital Store », réunissant 150 participants et 15 intervenants sur le thème des enjeux CRM et data dans le secteur du Retail. Dans le cadre de cette journée, Antoine Coubray, Fondateur de CustUp, a animé une table-ronde intitulée « Le magasin : nouveau data center de la connaissance client et de l’action client ». Il y a été question du rôle de la donnée dans le retail, de sa collecte, de son analyse et de son exploitation.
Participaient à cette table-ronde :
- Elise Masurel, qui dirige le département marketing de Klépierre, premier acteur européen dans la gestion de centres commerciaux.
- Stéphane Baranzelli, Managing Director Europe de Cheetah Digital, une agence de marketing digital créée en 2017 suite au rachat des activités marketing cross-canal d’Experian.
Nous avons souhaité vous partager les échanges – très intéressants – auxquels cette table-ronde a donné lieu. Nous vous laissons découvrir le compte-rendu de toutes les questions et thématiques abordées.
Pourquoi mettre en place une approche data dans le Retail ?
Avant le « comment », il faut toujours se poser la question du « pourquoi ». Pourquoi entreprendre une démarche autour de la donnée dans le secteur du Retail ? Quelles finalités ? Quels objectifs ? Selon Stéphane Baranzelli, la data peut être exploitée pour améliorer l’expérience client, optimiser les parcours et in fine augmenter la performance commerciale. Elise Masurel a de son côté commencé par rappeler la spécificité du métier de Klépierre. Klépierre n’est pas une enseigne de grande distribution, mais un gestionnaire de centres commerciaux présent dans 57 métropoles et 16 pays, en particulier en Europe. La stratégie data mise en place par la société vise à enrichir les services proposés aux retailers qui choisissent de s’installer dans un centre Klépierre. L’entreprise cherche à accompagner les retailers dans l’amélioration de leur business model, en leur fournissant par exemple des données relatives au volume de trafic dans les centres (trafic prédictif), ce qui permet aux retailers d’adapter leurs besoins en termes de staffing. Klépierre a également implémenté une solution qui permet de suivre pas à pas le parcours physique des visiteurs à travers le centre commercial (magasins visités, ordre de visite, durée de la visite, etc.) Klépierre exploite également la donnée dans une optique B2C, pour améliorer l’expérience client des visiteurs de ses centres commerciaux. La data collectée de manière géolocalisée auprès des visiteurs des malls permet de pousser aux clients des contenus personnalisés en fonction des magasins devant lesquels ils passent ou en fonction de leurs préférences. Les usages de la donnée dans la grande distribution sont marqués par la diversité. Le développement des nouvelles technologies permet d’enrichir continuellement les usages de la donnée physique.
Comment mettre en place une stratégie de collecte ?
Avant de développer des usages de la donnée, encore faut-il mettre en place une stratégie de collecte. Antoine Coubray a interrogé les deux intervenants sur les spécificités de la grande distribution en matière de collecte de data. Dans la distribution, 90% des achats sont convertis en point de vente, comme l’a rappelé Stéphane Baranzelli. L’enjeu principal, selon lui, est de réussir à rapprocher la donnée collectée en points de vente de la donnée digitale (en particulier la donnée qui précède l’acte d’achat). L’enjeu est différent pour Klépierre qui, comme l’a rappelé Elise Masurel, ne travaille que sur de la donnée physique (donnée de parcours). Grâce aux nouvelles technologies, il est maintenant possible de collecter de la donnée sur le visiteur unique et d’utiliser tous les KPIs utilisés dans le digital. Par exemple : la durée de visite dans les centres commerciaux, le statut du client (ancien / nouveau), la fréquence de visite et même, en un certain sens, le taux de rebond. Cela ouvre de nouvelles perspectives. Toutes ces données physiques et les KPIs qui leur sont associés permettent, en aval, d’optimiser la part de trafic qualifié et de mesurer l’impact des campagnes publicitaires sur la génération de trafic physique. La donnée physique permet d’améliorer à la fois les investissements marketing et les parcours clients. L’intérêt est aussi, comme l’a expliqué Elise Masurel, de croiser les données digitales et les données physiques pour disposer d’un parcours clients sans couture.
La spécificité du retail : la dialectique du national et du local
A cette relation entre donnée physique et donnée digitale s’ajoute une autre dialectique, propre au Retail : la distinction entre le niveau national et le point de vente (local par définition). L’imbrication de ces deux niveaux a des incidences sur la collecte et la structuration des données. Sur cette question, Stéphane Baranzelli a rappelé la distinction entre les réseaux de succursales et les réseaux de franchisés. Dans le premier cas, l’articulation des deux niveaux est assez simple. Un modèle de données est mis en place au niveau national. La collecte de données clients au niveau national s’articule à la mise en œuvre de segmentations et de campagnes locales, spécifiques à chaque point de vente. Lorsque l’enseigne est structurée en réseau de franchisés, les choses sont plus complexes car l’enseigne doit réussir à faire adhérer les franchisés au modèle de données conçu au niveau national. Ce n’est pas toujours facile, les franchisés n’étant pas toujours enthousiastes à l’idée de devoir collecter de la donnée personnelle sur leurs clients. Lorsque les franchisés n’entrent pas dans le jeu, le marketing se réduit bien souvent à des campagnes de communication très génériques, parfois déconnectées des besoins locaux en termes d’activité marketing.
Zoom sur les technologies d’analyse du trafic instore
La discussion s’est ensuite déplacée sur le terrain des technologies. Quels outils utiliser pour analyser le trafic en magasin, étudier le mouvement et le comportement des clients instore ? Elise Masurel a indiqué qu’il existait désormais un nombre important de solutions permettant de gérer le suivi des parcours clients physiques. Plusieurs startups ont investi ce créneau ces dernières années. Klépierre travaille actuellement avec deux partenaires : Retency et Elista. Leur point commun : les deux solutions sont basées sur la radio-fréquence. Cette technologie permet de couvrir beaucoup plus de clients qu’une solution fonctionnant uniquement sur Wifi et Bluetooth. Aujourd’hui, selon Elise Masurel, Klépierre a un taux de couverture du trafic global de 70%. Trois critères ont motivé le choix de ce couple de solutions :
- Le reach, la capacité à atteindre le maximum de personnes.
- La pertinence des cas d’usage pour les retailers.
- La pertinence des cas d’usage pour les équipes marketing de Klépierre.
Zoom sur les modèles d’analyse des données (RFM, personas...)
Une fois collectée et avant d’être exploitée, la donnée doit être analysée. Le modèle d’analyse dominant dans le Retail reste l’approche RFM, qui consiste à se concentrer sur trois data points : la récence, la fréquence et le montant des achat. Au-delà de l’incontournable RFM, quelles sont les autres pratiques qui émergent pour opérer l’analyse et la segmentation des données ? Pour Stéphane Baranzelli, la réponse tient en un mot : les personas. Cheetah Digital travaille beaucoup sur la création de personas avec ses clients. Les personas permettent de mettre en oeuvre une nouvelle approche de segmentation, plus fine, et de créer des campagnes plus performantes que celles basées sur la traditionnelle segmentation RFM. Chez Cheetah Digital, les personas sont à 100% le fruit d’un traitement de la donnée, associant aux données propriétaires first party des données third party pour enrichir les profils (Cheetah Digital utilise en particulier la plateforme Mozaik d’Experian) . Elise Masurel a quant à elle insisté sur 2 critères d’analyse :
- La durée de visite. Klépierre exploite ce critère pour récompenser notamment les clients qui restent longtemps en magasin et améliorer leur expérience (en leur poussant, par exemple, des offres pour prendre un café).
- Le niveau d’engagement sur les réseaux sociaux. Pour Elise Masurel, il est essentiel de récompenser les ambassadeurs sociaux, les fans de la marque. Ce critère peut être exploité dans une logique de fidélisation.
Focus sur le rôle des réseaux sociaux
Quels rôles les réseaux sociaux ont-ils à jouer dans le Retail ? Antoine Coubray a posé la question à Elise Masurel. Les réseaux sociaux jouent un rôle très important pour Klépierre. De manière plus générale, lorsqu’on cible des communautés locales – comme c’est le cas dans le retail – le social est un media très pertinent, malgré le biais générationnel. Klépierre utilise la solution Critizr pour pouvoir suivre sur une interface unique toutes les notes et reviews déposés par les clients sur Google, Facebook et Tripadviror. Comme l’a expliqué Elise Masurel, cet outil permet d’être en permanence à l’écoute de ses clients et de mieux intégrer les feedbacks dans l’amélioration des parcours clients. Les responsables marketing des centres commerciaux –ou les agences de community management en cas d’externalisation – peuvent répondre en temps réel aux reviews, ce qui à la fois génère de l’engagement client et permet de collecter de la donnée via l’analyse sémantique. Klépierre a également développé une messagerie instantanée sur Facebook Messenger : Just Ask. Le livechat est déployé sur tous les centres depuis un an. La marque s’engage à répondre aux questions en moins d’une heure. D’après Elise Masurel, les clients sont très satisfaits de Just Ask (80% de satisfaction). Les réseaux sociaux sont le canal de relation préféré pour 60% des clients de Klépierre. Just Ask a permis à Klépierre de multiplier par trois le volume de conversations. Klépierre finalise actuellement le développement d’un chatbot, qui permettra de donner accès au service de messagerie instantané en non-stop et plus rapidement.
Focus sur l’articulation du local et du national dans l’exploitation marketing des données
La discussion s’est ensuite engagée sur la question de l’exploitation des données, des bonnes pratiques pour maximiser la performance client. La problématique de l’articulation des niveaux national et local a resurgi à cette occasion. Le principal défi, selon Stéphane Baranzelli, c’est de réussir à donner la possibilité aux gérants de magasin, qui ne sont pas forcément des responsables marketing, de gérer leurs propres campagnes à l’aide d’une interface simple, de templates définis par le national et d’outils permettant de segmenter facilement les campagnes. C’est en tous cas une demande récurrente formulée par les clients de Cheetah Digital. Dans le retail, c’est au niveau local que se font les conversions. Les clients achètent en points de vente. Il faut donc réussir à trouver un modèle qui permet d’associer de manière intelligente le marketing au niveau national (le branding, les campagnes génériques) et le marketing au niveau local. Le niveau national doit aider le niveau local à développer son marketing, en fournissant des outils et des modèles. C’est l’un des principaux facteurs de réussite. Stéphane Baranzelli a ensuite rappelé qu’il existait trois types d’actions locales :
- Les actions réactives, qui sont déclenchées, souvent dans l’urgence, en réaction aux actions initiées par les concurrents locaux.
- Les actions de parrainage, visant à développer la base clients par la recommandation. Ces actions sont particulièrement efficaces en marketing local.
- Les actions locales qui font écho à des offres nationales, qui consistent à décliner des campagnes nationales pour atteindre un haut niveau de personnalisation.
Quels KPIs pour mesurer le ROI de la connaissance client ?
Il n’y a pas d’exploitation sans mesure. Est-ce qu’il existe des KPIs incontournables pour mesurer le ROI de la connaissance client dans le Retail ? C’est la question qu’a posée Antoine aux deux intervenants. Pour Stéphane Baranzelli, le KPI le plus important concerne la conversion des messages – le CA ou le ROI par message envoyé. C’est le KPI le plus facilement actionnable. Elise Masurel a expliqué de son côté que, dans une entreprise comme Klépierre, les KPIs utilisés étaient plutôt de type qualitatifs (NPS, durée de visite…) et déconnectés du chiffre d’affaires – ce qui s’explique par la spécificité du métier de Klépierre. Klépierre ne travaille pas la donnée client pour augmenter ses résultats financiers, mais pour améliorer le service rendu aux retailers.
Les conditions de réussite d’une démarche de collecte et d’exploitation de la donnée en univers Retail
La table-ronde s’est achevée sur une question simple : comment assurer le succès d’une démarche de connaissance client dans le secteur de la distribution ? Pour Elise Masurel, il est important de commencer par se poser la question de la finalité de la collecte. Pourquoi je collecte des données ? Pour quels usages ? Trop d’entreprises ont tendance à collecter de la donnée pour collecter de la donnée, sans se poser d’abord la question de l’objectif poursuivi. C’est d’ailleurs l’une des vertus du GDPR que d’obliger toutes les entreprises à se poser sérieusement cette question. Après l’entrée en vigueur du nouveau règlement européen sur la protection des données, il ne sera plus possible de demander une information à un client sans lui expliquer en toutes lettres les usages que l’entreprise souhaite faire de cette information. La deuxième clé de réussite, toujours selon Elise Masurel, est la transparence. Les entreprises demandent beaucoup de données à leurs clients et un certain nombre d’entreprises a tendance à confondre personnalisation et intrusion. Pour que les clients acceptent que l’on collecte des données sur eux, les entreprises doivent faire la preuve que ces données sont utilisées dans l’intérêt des clients : pour répondre à leurs attentes, pour personnaliser la relation clients, améliorer les parcours clients, etc. Elise Masurel a ré-insisté pour finir sur l’importance de la complémentarité local – national, qui est un enjeu majeur dans la distribution. Pour Stéphane Baranzelli, il est surtout important d’adopter un état d’esprit pragmatique et de se poser les questions simples : « De quoi a-t-on besoin pour faire quoi ? ». Le Managing Director Europe de Cheetah Digital a par exemple recommander d’utiliser des outils flexibles, souples, opérationnels, qui puissent être intégrés facilement dans le système d’information et utilisés par les équipes locales sans bouleverser leur organisation. Cette table-ronde a été l’occasion de balayer de nombreuses problématiques associées à l’utilisation de la donnée dans le retail. CustUp tient à remercier le Journal du Net d’avoir organisé cette rencontre ainsi que les deux intervenants pour la qualité des échanges.
Antoine Coubray, Directeur du Développement de CustUp, accompagne les entreprises dans la mise en oeuvre de leur politique de données clients.